Plus de 100 ans de longévité derrières, elle revit pourtant grâce à l’arrivée, à l’orée des années 198O, des vagues des jeunes africains subsahariens au Maroc. Que dire : l’Eglise Evangélique au Maroc (EEAM) est une ancienne ou une jeune Eglise ? Toujours est-il que cette Eglise des Etrangers à l’étranger, avec sa fragilité dû au renouvellement incessant de ses membres, vit piégée dans cette contradiction diachronique entre l’ancien et le nouveau.

Les tentations ne manquent pas : entre d’une part, la nouvelle génération des fidèles dont certains veulent faire table rase du passé, pour en faire une nouvelle Eglise avec une nouvelle ecclésiologie et compréhension théologique et, d’autre part, l’ancienne génération (dont, entre autres, des Européens natifs du Maroc) qui ont le souci de retrouver les traces de leur ancienne Eglise avec sa liturgie alignée sur l’orthodoxie réformée et une hymnologie du 16ème siècle.

C’est dans le creuset de cette tension que l’EEAM s’élabore et se construit lentement mais sûrement. Parfois, dans la douleur d’enfantement, mais bien souvent dans la joie et la reconnaissance de l’enrichissement mutuel issu de la diversité de ses membres.

Une chose est vraie : suite aux changements que l’Eglise connait pendant ces dernières décennies, la nécessité d’opérer un certain aggiornamento pour à mettre l’Eglise en phase avec ses réalités se fait toujours sentir. Le synode tenu du 22 au 24 novembre dernier à Tanger est venu illustrer cette problématique d’adaptation aux mutations, dans la suite des trois synodes précédents qui sont allés dans ce sens.

L’assemblée synodale de cette année a été marquée par un événement-phare : l’adoption d’un nouveau texte de règlement intérieur (RI) visant à réaménager les institutions et la discipline de l’Eglise. A cotés des instances classiques (Synode, Commission Exécutive et conseils presbytéraux), le nouveau RI se caractérise par plusieurs points forts : la définition des critères permettant de distinguer les Paroisses et les Paroisses Annexes ou encore la réorganisation des ministères dans l’Eglise.

Ce règlement se définit aussi par l’instauration de certains organes dont la Commission de Discernement des Ministères (destinée à accompagner l’Eglise dans le processus des appels aux responsabilités dans l’Eglise), ou encore la Commission Théologique (un des instruments de l’Unité ayant pour vocation d’aider l’Eglise dans les réflexions théologiques dans une Eglise où cohabitent des gens aux horizons spirituels disparates).

Soulignons aussi les activités de la diaconie et humanitaire que l’Eglise assume à travers le Comité d’Entraide Internationale qui sont désormais érigées en un département à part entière de l’Eglise. Ce règlement entérine également la création d’un mouvement national des femmes.

Il faut dire que le Synode de 2013 constitue la 3e phase du plan d’action quinquennal dit « chantier de consolidation des acquis et de la croissance » lancé au Synode de 2010 par l’Eglise sous le leadership de son Président le Pasteur Samuel Amédro qui venait alors de prendre son poste au Maroc.

Les précédentes réalisations dans le cadre de ce chantier sont la relance du Comité d’Entraide Internationale en 2010, l’adoption en 2011 d’une nouvelle déclaration de foi (élaborée après un débat général dans toute l’Eglise) ainsi que la mise au point, au Synode 2012, de programme national de formation. Ce programme de formation s’est soldé, entre autre, par la création, en collaboration et coresponsabilité avec l’Eglise Catholique au Maroc, de l’Institut Œcuménique de Théologie Al Mowafaqa.

Cet ouvrage de formation universitaire adossé, sur le plan académique et scientifique, sur la Faculté de Théologie Protestante de Strasbourg et l’Institut Catholique de Paris, prévoit un volet de formation en immersion pendant 5 mois au Maroc permettant de préparer un « Certificat Al Mowafaqa pour le dialogue des cultures et des religions ».

Dans son rapport inaugural du Synode à Tanger, le Pasteur S. Amédro, faisant le bilan de différentes réalisations, n’a pas manqué d’exprimer son

étonnement devant la rapidité du temps qui est passé et de l’importance des changements dans toute notre Eglise dont j’ai été témoin dans un temps si court
Mon étonnement est fait d’admiration pour ce dont notre Eglise si jeune, si fragile, est capable…

Et de poursuivre

J’y discerne sa main (de Dieu) bienveillante à l’œuvre dans notre histoire,

avant de citer Paul et de préciser

Nous travaillons ensemble à l’œuvre de Dieu » 1 Cor 3 : 6-11.

Le texte qui a nourri toute la trame de son intervention. L’instauration du nouveau règlement intérieur est donc le dernier-né dans l’effort continu de construire l’Eglise et de l’ajuster aux nouvelles réalités. Sur ce long chemin d’adaptation aux changements incessants, des efforts avaient déjà été entrepris au cours de trois dernières décennies. Pendant une longue période, un seul Pasteur ou tout plus deux pour tout le Maroc, ont travaillé entourés par quelques laïcs adultes ou, dans la majorité des cas, entourés par des jeunes étudiants qui ont animé la vie des plusieurs paroisses en l’absence des pasteurs.

Nous nous rappelons les noms des Pasteurs qui ont assumé la fonction de Président pendant cette période. Nous devons au Pasteur Schmidt (le dernier qui a exercé un long mandat qui a pris terme vers la fin des années 1980), la création du Comité d’entraide Internationale et l’ALCESDAM .

Le Pasteur Hans Reitzel a été pour beaucoup dans le renforcement des relations de notre Eglise avec la CETA (Conférence des Eglises de Toute l’Afrique) et l’intégration du mouvement de la jeunesse au sein de l’EEAM. Après lui, le Pasteur Etienne Quinche a marqué son passage par la signature d’un protocole d’accord avec les Assemblées de Dieu de France(ADD). Celles-ci ont envoyé (entre 1997 et 2004) un Pasteur dans la Paroisse de Rabat. L’Envoyé des ADD a assumé aussi les fonctions d’aumônier auprès des jeunes (dont une grande majorité avait un arrière-plan évangélique et pentecôtiste). On doit aussi à l’ère du Pasteur Quinche, les premières tentatives de mettre en place les premiers « pasteurs assistants » africains dans les Paroisses de Fès et de Rabat.

L’Eglise se souviendra du Pasteur Jean-Luc Blanc pour le renfoncement du réseau des partenaires au plan international ainsi que pour la réorganisation de l’Eglise et du mouvement de jeunesse après une grave crise qui avait abouti en 2004 à une scission dans certaines paroisses, notamment à Rabat. Toujours avec le Pasteur Jean Luc Blanc, nous lui devons l’instauration d’un certain consensus sur la forme de la célébration liturgique avec adoption d’un canevas liturgique et aussi un consensus autour de la célébration de la Sainte Cène.

Après eux tous, est venu enfin le Pasteur Samuel Amédro avec qui le chantier évoqué ci-haut et dit de « Consolidation des acquis et de la croissance » a été ouvert.

Dans ces péripéties, l’EEAM s’est vu accompagné par la Ceeefe. Les derniers présidents qui ont été témoin de ces changements sont le Pasteur Philippe Bertrand et le Pasteur Yves Gounelle. Le Pasteur Bernard Antérion vient de vivre avec nous sa première expérience pour avoir pris part au Synode qui a eu lieu du 22 au 24 novembre à Tanger. Il a été témoin de la qualité et de la vivacité du débat autour du nouveau règlement intérieur de l’Eglise et autres questions traitées.

On peut dire aussi que le Pasteur Antérion a été également témoin de la particularité de relation œcuménique que Catholiques et Protestants, nous vivons au Maroc. En effet, le Synode a été accueilli fraternellement dans les locaux de l’Eglise Catholique de Tanger qui a mis à disposition et gracieusement des salles de conférences et des logements. L’Evêque de Tanger et son Vicaire Général ont pris part au culte d’ouverture du synode.

Nous ne pouvons ne pas voir dans tous les changements évoqués dans notre Eglise et les opportunités de témoignage de l’unité chrétienne qui s’offre à nous, comme des signes de l’attention bienveillante du Seigneur qui veille sur son Eglise que nous sommes et sur nos petitesses en cette terre d’islam où nous sommes une infime minorité.

Jean-Marie KASONGO
Secrétaire Général EEAM